Un album puissant et à la violence maîtrisée, véritable coup de vent et de grisou dans les tunnels du garage rock.
Donnons, si vous le voulez bien, une nouvelle définition à l’expression boboïsante « tu vas prendre cher ! ». Oui, celle-là même qui a tendance à hérisser le poil de n’importe lequel d’entre nous, à vouloir faire manger son verre de vodka-Red Bull au bourgeois bohème qui la prononce, aussitôt suivie d’un ricanement qui achève de nous convaincre que, décidément, la planète irait beaucoup mieux sans lui. On l’imagine alors chez lui, en train d’écouter tout ce que des revues mainstream et auteuristes lui conseillent de se mettre dans les oreilles ; et lui d’obéir, aveuglément. Et on ne souhaite qu’une chose : lui prouver qu’il existe beaucoup plus d’énergie ailleurs, chez ces artistes passionnés et furieux, qui mêlent transpiration échevelée et talent d’écriture immédiate. Mais surtout parce que c’est l’un des seuls moyens de mettre une bonne gifle audit snob. Et un tel plaisir n’a pas de prix.
Les Belges de The Scrap Dealers nous fournissent alors les outils nécessaires : trempés dans un rock agressif et immédiat, rugueux et perturbant, mais qui donne surtout envie de bondir dans tous les sens, de se sentir happé par une foule dont les pieds ne touchent plus terre. Et pour parvenir à amasser tous les grains de sable nécessaires à l’enrayement de la machine populaire, ils choisissent les bouts de verre les plus acérés afin de créer une arme aiguisée et pénétrant au plus profond des chairs en sueur (I am so proud, Stepbrother). Le groupe délaie la crispation et laisse jaillir les eaux usées du shoegaze, inondant les rues proprettes et nettoyant les caniveaux emplis des déchets de pseudo-groupes à guitares (No sense in your eyes, Evil ride). Les pointes de sabres rouillés et corrosifs sont prêtes à en découdre, les cordes métalliques effilées et tendues percutent des basses et batteries lourdes et tapageuses (I need you tonight, If I were your only son). Pour ceux qui riaient encore, le goût devient amer, tandis que la contamination de la saturation se répand dangereusement.
Renégats de la lourdeur électrique, les ferrailleurs de The Scrap Dealers parviennent à insuffler dans leurs sonorités bruitistes des mélodies certes abruptes et franches, comme la voix le révèle tout au long des sept titres de l’album ; mais aussi de véritables bras de fer entre explosion et contorsion. Les corps se meuvent de manière hypnotique, transcendés par le magma brûlant de ces laves fusionnelles. Hors de contrôle, l’auditeur se délecte de toutes les impulsions viscérales de larsens perçants et brutaux, de tous les corps électriques en mouvement et en hautes fréquences que l’on perd en route pour mieux les prendre de plein fouet, au détour d’un chemin sinueux et sans visibilité. Des accidents de la route dont on ne sort pas indemne.
Écouter le disque, c’est accepter de percuter un camion harmonique chargé d’azote liquide, sentir ses membres (quels qu’ils soient) durcir et ne plus pouvoir bouger. Mais savourer le plaisir dans l’acharnement du groupe à râper la peau et gratter ces inflammations épidermiques qui nous démangent. La boucle est alors bouclée : le bobo comprend que l’on se dirige vers lui et qu’il n’y a aucun moyen de s’échapper. Mais The Scrap Dealers a fait tout le boulot ; il ne nous reste plus qu’à le fixer, les yeux injectés de sang et le visage rouge d’excitation, pour lui faire comprendre que, oui, il va vraiment comprendre ce que « prendre cher » pourrait signifier. Ne reste plus qu’à achever le travail de titan des Belges et le dépouiller du peu d’orgueil qui lui reste.
The Scrap Dealers ouvre les portes du rock à grands coups de bélier et enfonce les charnières avec une force incomparable. Incendiaire et dévastateur.
« The Scrap Dealers » de The Scrap Dealers, disponible depuis le 14 novembre 2014 chez JauneOrange.
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