[LP] 2:54 – The Other I

Entre cold wave et influences 80’s, « The Other I » souffle le chaud et le froid et bouleverse les règles faussement établies de la musique pop actuelle.

Tout le monde connaît cette phrase passe-partout qui fait sourire mais a une fâcheuse tendance à rappeler aux anciens qu’ils sont plus près des racines et du sapin que de l’innocence et de l’entrée dans la vie active : « C’était mieux avant ! ». D’ailleurs, rien ne le prouve, et ce serait même le contraire. Pourtant, on ne peut jamais rester insensible, quel que soit notre âge, à ces parfums passéistes qui, quand ils sont délicats et parfaitement dosés, ne ressemblent en rien à l’inepte et indigeste soupe servie régulièrement à nos oreilles ensanglantées dès que l’on écoute la radio ou que l’on regarde les chaînes musicales télévisuelles (Spengler avait pourtant prévenu les producteurs mainstream actuels : « Ne jamais croiser les effluves ! »). Quelle que soit notre génération, on cherche parfois ces petites madeleines de Proust qui nous bercent et nous remémorent les joies de l’adolescence, les premiers émois artistiques (ou autres), les idéaux que l’on a perdus en route, sans trop comprendre pourquoi, ni où.

2:54 - The Other I

Ainsi, pour tous ceux qui gardent des années 80 une nostalgie sans faille, « The Other I » devient un merveilleux stratagème dans lesquelles, l’air de rien, on replonge dans les ambiances éthérées qui nous ont tant aidés, les soirs de solitude ou les jours de misérabilisme nombriliste. En 12 titres, les Londoniens de 2:54 font table rase de tous ces groupes revendiqués comme héros des heures glorieuses de la fin du siècle dernier et propulsent leur musique au firmament de la pop, en y ajoutant des ambiances vaporeuses que l’on n’avait plus entendues (et viscéralement ressenties) depuis trop longtemps.

En rejoignant l’écurie Bella Union de Simon Raymonde, les sœurs Thurlow ont pu s’accorder une liberté créatrice totale qui les démarque de l’appellation « post-Cure » dont elles étaient auparavant victimes. Préférant ancrer leurs créations dans des nappes cold wave plus prononcées et parfaitement maîtrisées (Orion, No Better Prize), elles se laissent aller à la frénésie en invitant des guitares plus actuelles et électrisantes (Sleepwalker, Pyro) et touchent au sublime en frôlant les étoiles filantes d’un rock anesthésié pour être mieux capturé (Crest, Blindfold).

En roue libre, elles se laissent aller vers la beauté pure et immaculée de mélodies pénétrantes (In The Mirror, Glory Days) mais conservent régulièrement un regardé affiné sur leur processus de composition et leur habileté à créer des univers indépendants les uns des autres, menant l’auditeur dans les plus belles et captivantes sphères musicales possibles (les apothéotiques « Tender Shoots » et « Raptor »). Risquant leurs dons afin de mieux s’approprier les fantômes de civilisations musicales oubliées, 2:54 les déracine pour mieux bâtir un monument qu’il sera difficile d’égaler.

Les voix, quant à elles, évoquent aussi bien les timbres du milieu de la glorieuse époque qu’un murmure d’abord lointain puis magnifiquement affirmé. La certitude devient toujours plus sensible lorsque les envolées lyriques, quelque part entre Lisa Gerrard et Madonna, sont autant d’arabesques que de chants obsédants et hypnotiques. Il est impossible de ne pas tomber sous le charme de ces complaintes aériennes, scrupuleuses et pourtant dépouillées et directes, étoiles filantes dans un firmament froid et lumineux. Devant la blancheur de ces territoires inconnus, l’auditeur voit sa résistance s’émousser et la tendresse d’une étreinte harmonique libérer sa chaleur. Entre sensualité glacée et testament constant des limbes de la créativité, « The Other I » trouble et anesthésie, défragmente et ne laisse voir que la face cachée d’un iceberg perdu dans un torrent en ébullition, une lave salvatrice et admirable. Tranchant et docile, il devient le compagnon des lentes marches dans la neige épaisse, à la recherche de feux-follets mystérieux et transcendants.

crédit : Joseph Piper
crédit : Joseph Piper

Osé et diablement fédérateur, le nouvel album de 2:54 est un moment inlassable de plaisirs coupables. C’est bon, parfois, de commettre des crimes dont la sentence est aussi douce.

« The Other I » de 2:54, disponible depuis le 10 novembre 2014 chez Bella Union.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.