[LP] Locust – After The Rain

Quand l’analogique épouse les courbes de pianos et d’arrangements électro sensibles, le résultat apaise et devient admirablement contemplatif.

Locust - After The Rain

Pourquoi abandonner le passé au profit d’un modernisme condamné à être oublié plus rapidement, pratiquement du jour au lendemain ? Il est évident, pour chacun de nous, que les technologies de nos parents (même si cela sonne comme une leçon de « vieux ») nous ont conduits à de formidables progrès, mais sans qu’ils puissent être reniés. Musicalement, chaque clavier, chaque logiciel de MAO doit tout aux balbutiements des précurseurs du genre, autant qu’aux élans expérimentaux de ceux qui souhaitaient dompter la machine pour la rendre plus humaine, plus émotive. Certains conservent même leur synthétiseur pendant plus de vingt ans, tellement l’émotion ressentie en jouant sur ce dernier ne peut être remplacée. Pourquoi, alors, ne pas lier le démodé et le récent, les faire collaborer dans un seul et même univers ? Le multi-instrumentiste anglais Mark Van Hoen parcourt ces terres depuis plus de 30 ans et ne s’en lasse jamais, à l’image d’un Brian Eno toujours solitaire et fasciné par le potentiel des outils ayant traversé les époques. Ici épaulé par Louis Sherman, seconde tête pensante de Locust, il offre un second album au doux parfum de nostalgie, de plongée en apnée dans les courants d’un art minimaliste et confondant.

Armé de claviers vintage, d’un antique Rhodes, d’un piano et d’un simple sampler, le duo explore la césure entre ambient et électro, franchissant les degrés de l’apesanteur comme on escalade des rochers que les cascades rendent magnifiques, quoique glissants. Introduisant des titres à la mélancolie profonde et presque sournoise par un « Snowblind » dépouillé et tout en finesse, dans lequel chaque instrument prend la place qui sera la sienne tout au long de l’album, les deux musiciens laissent alors dériver leur art entre fulgurances minimalistes intègres (Under Still Waters et ses effets flanger efficaces et somptueusement émouvants, Sorrow Stays). Recherchant dans les anciens émetteurs sonores une expression propice aux sentiments les plus bruts et introspectifs, ils déroulent un film harmonique où l’on rencontre aussi bien Giorgio Moroder (Parsing The Signals) que John Carpenter (Colonnades), mais également les gialli italiens des années 70, ces longs-métrages policiers à l’esthétique fine et soignée (Downlands). La mine défaite et les épaules voûtées, « After The Rain » traîne son désarroi en contemplant, dans le reflet de flaques où il tombera bientôt, les dessins nuageux de souvenirs de la scène allemande de la fin des seventies (Shadows Cast by Planes) ; puis il étire ses formes fatiguées sur de longs moments de frissons en constante évolution (I’ll Be There, Won’t Be Long) avant de s’évanouir au bord d’un trottoir, frappé par la pluie, et de s’y endormir, pour toujours.

Quelques bribes de voix se laissent découvrir, entre Paul Éluard et les sons étouffés de ruelles encombrées ; autant de conversations à sens unique, de propos qui ne cherchaient que leur illustration par la mélodie. L’eau est omniprésente, tout au long du disque ; par vagues successives, alors que les embruns salés nous frappent en plein visage, que les courants se brisent et fascinent grâce aux multiples couleurs qu’ils charrient. La pluie de vagues synthétiques nous étreint également, nous protège des rayons d’un soleil et d’une chaleur qui n’ont pas leur place ici. Car Locust joue avec les formes liquides, les développe et laisse les figures aquatiques évoluer, s’entraîner mutuellement et révéler leurs dessins les plus admirables et captivants. Elles éclatent, en fontaines, en jets délicats et éclairés, chaque goutte ne ressemblant à aucune autre et trouvant son importance dans le spectacle global qui est donné. Faire révérence et référence en concevant les ombres et les milliers d’échardes de glace qui fondent devant nos yeux hypnotisés ; c’est ce que le duo provoque et invoque, tels les artificiers méticuleux d’ambiances visuelles aussi importantes que chaque note dans cette profonde identité déversée sur nos pupilles et dans nos conduits auditifs.

Locust

Grisant et évocateur des pensées les plus limpides, « After The Rain » se dévoile, au fur et à mesure des écoutes, aussi savoureux et réconfortant qu’un breuvage mérité après la longue traversée de nos propres déserts.

« After The Rain » de Locust, disponible depuis le 13 octobre 2014 chez Éditions Mego.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.