[LP] Vesuvio Solo – Favors

Un album vintage fleurant bon le funk artisanal et enterrant une fois pour toute une French Touch déjà largement sur le déclin.

Vesuvio Solo - Favors

Avant-propos : la French Touch, ce mouvement existant depuis plusieurs années mais n’ayant aucune véritable identité, s’essouffle. Et, au risque de choquer, c’est tant mieux (ou, pour modérer le propos, un mal pour un bien). En effet, difficile de ne pas saturer devant ces multiples revivals des années 70 et 80, cette vantardise éhontée mettant en rivalité ceux qui utilisent des instruments ayant fait leurs preuves il y a 30 ans, afin de donner un cachet à leurs productions, quitte à ce qu’elles soient vides (qui en a quelque chose à faire de savoir que tel ou tel album a été enregistré sur la même console que celle utilisée pour créer l’œuvre s’étant la plus vendue au monde ? À bon entendeur…). Le courant devient proprement étouffant : pour l’auditeur, tout d’abord, mais également pour les musiciens souhaitant non pas revendiquer un passé artistique et le reproduire (démarche aisée s’il en est), mais s’épanouir dans un genre propice à exprimer leurs désirs et leur talent. Comment faire, dans de telles conditions, pour éviter le gavage intempestif et se démarquer des pâles profiteurs ? Le duo québécois Vesuvio Solo répond par de l’audace. Et une touche harmonique confiante et généreuse.

Loin de s’enfermer dans un carcan inconfortable et restrictif, les deux compositeurs disséminent aux quatre coins de « Favors » des éléments non pas empruntés à leurs prédécesseurs, mais compris et retransmis sur un poste de radio ancien, alors que l’on tourne les mollettes pour capter des fréquences oubliées. Ou un vieux tourne-disque épurant la qualité sonore. Sous la protection d’un funk toujours délicat et bien pensé (Favors II, Don’t Ask, Don’t Tell), ils engendrent une contamination musicale faite de nappes de synthés subtiles et organiques (Avion), d’élans new wave imprévisibles et vivants (Amy Sakamoto) ou de rythmiques de guitares sensibles mariées à des claviers lumineux que David Gilmour ou Richard Wright ne renieraient certainement pas (Boy Blue). Ainsi, quand ils se décident à calmer une ardeur difficilement contrôlable car parfaitement grisante, c’est une identité encore plus affirmée que le duo nous donne à voir. On passe brusquement de la soul la plus contenue et subjective (Favors) à des mouvements presque folk et pop, saugrenus mais incroyablement possessifs (PBS, 18th Parallel). Comme le plus délectable des cocktails, servi remué et dont les ingrédients veloutés s’unissent à la perfection, « Favors » se savoure en attendant, sur un tabouret recouvert de velours rouge, de vivre un jeu de la séduction nocturne avec la personne venant s’asseoir à nos côtés.

Vesuvio Solo

« Favors » est une boîte à musique vintage ; de celles pour lesquelles il suffit de tourner une manivelle avant de pouvoir l’utiliser. Au travers d’un amplificateur à lampe, la musique s’immisce tout autour de nous, s’invite à la fête, se matérialise pour nous servir les boissons menant à l’ivresse des sens. Gravé dans un bois vernis de toute beauté, l’objet se contemple, se caresse délicatement ; on en admire les contours, les détails sertis dans ce cocon attendrissant, les multiples dessins qui y sont sculptés. Les artisans de cette œuvre à la fois doucereuse et intrinsèquement mélancolique ont donné tout leur cœur à l’ouvrage, lissé les aspérités et manié le ciseau comme on formalise la glaise pour obtenir les dénivelés les plus purs, les reliefs les plus précis. La concision est également de mise, tant l’album va à l’essentiel, évite les écueils sur lesquels d’autres se sont échoués. « Favors » garde une saveur mielleuse (au sens premier du terme) et suave, le fumet d’un mets sucré et devant lequel on fond littéralement. Il est aussi bien une gravure fascinante qu’une nourriture spirituelle confondante, dont on ne revient pas facilement.

« Favors » envoûte, déroute, mais avant tout, fascine. Tant de beauté dans seulement dix titres relève du miracle, pour le genre choisi et la manière de le respecter. Chapeau bas.

« Favors » de Vesuvio Solo, disponible depuis le 15 octobre 2014 chez Atelier Ciseaux.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.