Un artiste anglais multi-instrumentiste et incroyablement productif qui explore les paysages fracassés et éthérés de la noisy la plus lumineuse.
S’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, il y a aussi, depuis plusieurs années, quelque chose d’électrique au Royaume-Uni. Entre les fabuleux moments de My Bloody Valentine ou des Cocteau Twins, puis les élans power-pop des figures de proue bien connues des amateurs de querelles intempestives entre frères, en passant par des groupes à la longévité périmée mais restant dans les annales (The Stone Roses, au hasard), les guitares les plus bruyantes semblent être le prolongement logique du bras de mer séparant le continent de la perfide Albion. Et ce n’est pas Jack Chuter, jeune prodige bruitiste originaire de Bournemouth, qui nous prouvera le contraire, tant son rock contient d’élans âpres et délicieux des parfums envoûtants de la fureur précédemment citée.
Articulant sa musique autour de pierres angulaires puissantes et violemment subversives (le diptyque Where To/ Not A Body), Chuter trouve son salut dans l’implosion, dans ces bouts de corps qui éclatent comme percutés par des obus harmoniques infaillibles, des armements rythmiques et mélodiques tendus et insidieux. Les déflagrations soudaines et continues s’écrasent contre la lucidité de l’auditeur pour mieux la distordre, la disséminer aux quatre coins de l’art anglo-saxon. Introduisant des sonorités froides et artificielles (Drained, If I Have To), des contretemps imprévisibles et médusés (le calme avant la tempête de Just How Easy), l’artiste est le général d’une artillerie lourde mais demandant une précision chirurgicale et experte pour accomplir la mission qu’il s’est lui-même imposée. Tel un kamikaze prêt à sacrifier son humanité, il contourne les obstacles, les pièges et les tirs ennemis susceptibles de lui faire perdre la partie ou de sortir de son plan de vol, voire de dériver sans atteindre sa cible.
Mélancolique et sombre, « An Absence Of Weight » n’est pas qu’un cri vers les déités noise-rock que plus personne n’ose vénérer ; c’est une plainte sourde, amère (Licking Blood) et totalement addictive. Le disque est le ressac d’une mer noire s’écrasant violemment sur les galets d’une plage depuis longtemps abandonnée, sur les restes d’une côte ravagée par la bataille. Le salut vient dans les moments plus post rock de titres éclairés, d’espoirs au milieu des cadavres immobiles de soldats pourtant conscients de leur sacrifice (Reconstruct). La voix de Chuter, mêlée aux sons naturels, n’est cependant pas qu’un faux symbole de paix ; non, elle est un chant funèbre, de ceux qui prouvent que la mort des êtres qui ont donné leur existence n’a pas été vaine. Humainement et profondément impliqué dans son action créative, le créateur sort épuisé mais satisfait de cette épreuve, avant de raconter par la musique ces témoignages muets de ceux qui sont tombés pour illuminer à nouveau les terres saccagées et meurtries le l’Ether artistique, violé et malmené par des groupes insignifiants, mais toujours à même de ressusciter grâce à des inventeurs aussi respectueux et intelligents que celui qui nous apparaît sur ces 8 hymnes indispensables, caverneux et aqueux, fluides et bientôt purifiés.
Un LP fort et insidieux, mémorable et prenant. Et qui résonne longtemps dans l’organisme, après un tremblement de terre intérieur radicalement incontrôlable.
« An Absence Of Weight » est disponible depuis le 25 juin 2014.
