[LP] Bearhug – So Gone

Du rock froid et sale pour le nouvel album du groupe australien, entre les ébats musicaux de New York et la rouille corrosive de Seattle.

Bearhug - So Gone

Si l’on en croit un dictionnaire virtuel mondialement connu, le Bear Hug est « une prise du dos et du torse consistant à ceinturer le corps de l’adversaire avec les bras ». Très utilisé en catch, celui-ci sert à immobiliser, à soumettre. « So Gone », second album des Australiens homonymes, possède exactement la même faculté : celle de déployer une force pratiquement surhumaine de sonorités sales et saturées afin d’entourer des mélodies se repliant alors sur elles-mêmes et dont la beauté devient subversive, dont la délicatesse ne peut que se plier aux exigences des murs rythmiques qui la possèdent. Plus qu’une claque musicale, le disque est un lancer par-dessus la troisième corde avant d’atterrir violemment et de se briser les os, mais en voulant avant tout remonter sur le ring et en reprendre une dose, encore et encore.

Allant chercher toujours plus loin les sommets du rock le plus contestataire dans sa forme, Bearhug explore les catacombes laissées béantes par les Pixies (Habit Wave) ou Interpol (Chlorine), sans pour autant reproduire les mêmes riffs que ses prédécesseurs. Non, ici, tout est question de dosage des guitares et de la batterie, les cadences s’entrechoquant à un rythme effréné et sans temps mort, l’instrumentation prenant une dimension aussi puissante que délicatement intimiste (Borderlines, Catacombs). Le style sert avant tout au groupe d’exutoire, de besoin de laisser l’énergie se libérer totalement pour ne pas s’enliser dans la dépression. Avec la même démarche que Low depuis « Drums & Guns », même si les deux entités ne jouent pas sur un terrain identique (quoiqu’ Until We Say pourrait s’en rapprocher), Bearhug devient la seule parade à l’absence d’ensembles underground incroyablement attachants comme Six By Seven, prenant à bras le corps les détritus abandonnés au bord de la route indie par des créateurs s’étant perdus soit dans la mégalomanie, soit dans leur propre fange. Plus qu’un rappel du sens premier du genre, The Glow et The Sky sont des hurlements apaisés vers l’abysse, les anfractuosités d’un goudron harmonique consécutives aux séismes sur lesquels plus rien de solide n’a été bâti.

« So Gone » suit les pérégrinations de tous ces nouveaux musiciens ayant un réel besoin d’immédiateté, de relâchement et de sueur, cette envie soudaine de s’épuiser sur des instruments frénétiquement agités. Mais en gardant une mélancolie que les voix mettent en avant, comme une réponse à la fragilité quotidienne personnifiée par les six cordes et les fûts. Menottés et enfermés en cellule d’isolement, les 11 titres de l’album n’ont d’autre choix que de se recroqueviller après avoir fracassé les murs épais dont la peinture tonale s’effrite, mais surtout d’imaginer ce qu’il y a de l’autre côté des portes blindées pour ne pas sombrer dans la folie provoquée par les mélodies instrumentales. Entre démence et solitude, le LP se découvre et révèle non pas un paradoxe, mais une complémentarité intime et rigoureuse, une élévation pour sortir du marasme de la schizophrénie. Subtil et allant droit au cœur, il panse les plaies et écorchures faites sur les barreaux d’une cage oppressante, afin de révéler la lumière d’un jour nouveau, qui sera différent du précédent car plus posé. Plus vivant, en quelque sorte.

Bearhug

Bearhug bouleverse les apparats du rock et les fait sien, pour les peindre de couleurs certes sombres, mais plus satinées qu’elles n’en ont l’air. Un disque dans lequel il faut se plonger et goûter ce qu’il offre à l’excès.

« So Gone » de Bearhug est disponible depuis le 19 septembre 2014 chez Spunk Records.


Retrouvez Bearhug sur :
FacebookBandcampSoundcloud

Photo of author

Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.