[Interview] Hozier

Auteur-compositeur-interprète irlandais de 24 ans, Hozier a créé la sensation, l’année dernière, grâce à son single « Take me to the Church » et son clip qui a fait le buzz en seulement quelques semaines. Après une tournée sold-out aux États-Unis, il était à Paris dans le cadre du festival Rock en Seine avant la sortie de son premier album prévu pour le 22 septembre. Des textes aux sources d’inspirations, en passant par son histoire et ses collaborations, rencontre avec un artiste généreux et passionné.

Hozier

  • Tu es passé en l’espace d’un an du statut de chanteur irlandais inconnu du public à celui d’artiste international, avec une tournée aux US, sold-out. Une de tes vidéos sur YouTube a été vue par plus de 7 millions d‘internautes. Comment expliques-tu un tel succès en si peu de temps ?

Je ne peux pas l’expliquer. En une année, beaucoup de choses se sont passées très vite. Il y a un an, j’enregistrais mes chansons dans mon grenier. Je les ai mises sur le net en accès libre. Et là, tout a décollé très vite et en très peu de temps les majors m’ont approché, Universal puis Colombia pour les US.

  • Tu n’étais pas préparé à ça…

Tu ne peux jamais vraiment être préparé à ça. J’étais préparé sur les choses que je pouvais contrôler.
J’ai passé plusieurs années à réfléchir sur le style de musique que je voulais faire et essayer d’y arriver. Cela m’a pris du temps pour me perfectionner et obtenir le son que je voulais.

  • L’Irlande est un pays où la religion a une place très importante. Dans « Take me to the Church » tu parles de la possibilité d’aimer l’autre sans honte, sans culpabilité, un peu à l’encontre des valeurs morales prônées par la religion catholique centrées sur la famille. Comment ta chanson a-t-elle été accueillie là-bas ?

La chanson a été très bien accueillie. Il n’y a pas vraiment eu de controverse à son sujet. En Irlande, la religion est importante mais elle le devient de moins en moins. C’est toujours important pour les gens. Depuis toujours, et c’est historique, la religion fait partie de la société, de la famille et même de la politique. Mais depuis quelques années, les journaux relatent des histoires atroces faites au sein ou au nom de l’église. Donc, je ne pense pas vraiment que les valeurs de la religion soient basées sur la famille mais plutôt centrées sur elles-mêmes. Mais non, il n’y a pas eu de réactions négatives…

  • Cela t’a surpris ?

Je ne savais pas à quoi m’attendre. À l’époque, quand j’ai écrit cette chanson, je ne me suis pas posé la question de savoir comment elle serait perçue. J’ai juste exprimé honnêtement dans cette chanson ma frustration, ma colère contre certains côtés de cette doctrine, de ces lois imposées par l’église, et de toutes ces choses affreuses qui ont été faites…..Mais bien plus que ça, cette chanson célèbre l’être humain et la vie à travers l’acte de faire l’amour.

  • Quelle place a la religion dans ta vie ? Tu utilises beaucoup de mots à consonances religieuses : church, evil, angel, sin, god…

Je pense que cela vient de mes influences musicales. J’adore le blues et le gospel que j’ai beaucoup écouté étant jeune. La plupart des paroles, dans le gospel et dans le blues également, parlent de la mort, du démon (devil) qui est un personnage à part entière dans ces musiques.
Et puis le mot « Dieu » (God) fait parti du vocabulaire courant parlé. « God » est utilisé dans beaucoup d’expressions courantes, généralement pour exprimer le chagrin et la douleur. Mais même pour dire bonjour, en Irlande vous utilisez l’expression « Dia duit » qui se traduit par « God be with you » et vous invoquez l’esprit de dieu.
Et puis parfois, le langage peut agir comme une cage, il informe sur la mentalité d’un individu. Il est aussi un media par lequel vous pouvez agir de manière invasive sur les gens . Il est utilisé par le gouvernement, la religion,… le langage peut être tellement pernicieux.

Hozier

  • Pour moi, « Take me to the Church » est une chanson gospel par les chœurs, la puissance de la voix, les paroles qui font référence à la religion. Peut-on te décrire comme un chanteur de gospel ? un bluesman ?

D’une certaine manière, oui. J’adore le gospel. Je ne suis pas religieux mais j’aime l’idée de chanter pour l’amour de Dieu qu’il existe ou non, peu importe, chanter les peines, célébrer la vie. Oui, c’est une chanson gospel qui aspire à l’amour. Cette musique m’émeut donc oui, vous pouvez. Le rythm’n’ blues et le gospel ont beaucoup influencé ma musique.

  • La chanson « Angel Of Small Death & The Codeine Scene » est aussi très gospel….

Oh oui, avec les chœurs…

  • Et sur scène, tu es seul ?

Non, j’ai un groupe qui m’accompagne. Nous sommes cinq : batterie, piano, violoncelle, guitare, et moi au chant et à la guitare. Nous essayons de reproduire au maximum le son de l’album sur scène.

  • Mais vous arrivez à reproduire cette touche gospel en concert ?

On essaye, dans le groupe, plusieurs de mes musiciens font les voix également. Sur certaines chansons de l’album, il y a 12 voire 15 voix, les miennes mais qui sont mixées ensemble. Plus tard, oui, j’aimerais bien ajouter quelques voix supplémentaires sur scène.

  • Tu aimerais un jour chanter avec un chœur sur scène ?

Oui, j’ai eu la chance de le faire une fois avec le Berkeley Gospel Choir lors d’un show aux US. C’était une expérience incroyable. Ah, si je pouvais avoir 10 voire 12 chanteurs… mais cela n’est pas possible.

  • Le clip de la chanson « Take me to the Church », sorti en septembre 2013, fait référence aux discriminations homosexuelles en Russie. Pourquoi ce choix ?

À l’époque, je suivais les évènements qui se passaient là-bas, les manifestations suite à la loi anti-gay . Je ne voulais que le clip fasse référence à l’Irlande et à l’église. Pour moi, le fond de cette chanson traite d’une organisation qui porte atteinte à l’être humain, qui par ses messages lui dicte qui aimer et comment aimer. Je ne voulais pas que ce message soit focalisé sur l’église. C’était une opportunité pour montrer que ce genre d’organisation existe partout dans le monde, et pas seulement dans le domaine religieux mais en politique également, en édictant des lois qui réduisent les droits des personnes.

  • Cette vidéo a pu être considérée comme un acte militant du coup…

Je ne pense pas que c’est militant parce que ça ne reflète que la réalité de ce qui s’est vraiment passé, sans mensonges, sans exagérations. On n’a pas voulu imposer un point de vue, on a juste décrit ce qui se passait.

  • Sur ton EP, tu as travaillé avec Rob Kirwan. Comment s’est passé cette rencontre ?

C’était par l’intermédiaire de mon label irlandais, Rubyworks. Rob Kirwan a travaillé avec des gens fantastiques, PJ Harvey, U2… Le label lui a envoyé les démos que j’avais faites pour voir s’il pouvait en sortir un son « meilleur » car le son de mes démos n’était pas terrible. Il est incroyable, c’est super de travailler avec lui, car il comprend très vite ce que tu veux, il ne veut rien imposer, il est ouvert à toutes les idées.

  • Pour l’album, tu as continué à travailler avec lui ?

Oui, pour l’album, on a travaillé ensemble en studio sur la plupart des chansons.

  • Tu es auteur-compositeur. Lorsque tu écris une nouvelle chanson, tu commences par les paroles ou la musique ?

En général, les deux vont ensemble. J’ai d’abord des idées de paroles, parfois de musique, ça dépend des chansons. Mais même quand j’ai les paroles avant la musique, je retravaille les mots pour qu’ils collent naturellement à la musique. Parfois, tu as une mélodie et les paroles glissent dessus tout de suite.
Des fois, j’écris les paroles entières d’une chanson sans aucune idée de mélodie, et alors je les répète sans cesse jusqu’à ce qu’une idée musicale vienne.

  • Quelle est ta source d’inspiration dans l’écriture?

Tout et rien. Je ne commence pas avec un sujet précis. Pour « Take me to the Church », je ne me suis pas dit « et si j’écrivais une chanson sur les organisations religieuses… »
En général, j’écris sur des choses qui me concernent personnellement, je laisse trainer mon esprit et je note des idées, sur les valeurs qui me touchent. Les chansons que j’écris sont souvent romantiques, mais j’essaye d’aller au fond des choses, de ce que l’on ressent au plus profond de soi et de la manière la plus honnête possible et sur la forme la plus simple aussi.

  • Ton père est musicien. T’a-t-il influencé dans cette voie ?

Oui, il jouait de la musique blues dans un groupe bien avant que je naisse. Il a toute une collection d’albums de musique blues et donc j’ai été bercé dans mon enfance par cette musique. On peut dire que mon éducation musicale a été faite avec la musique blues qu’il aimait et avec ses connaissances sur cette musique.

  • Et tu as commencé à jouer d’un instrument à cause de lui ?

Oui et non. Mon père était batteur. Il n’y avait pas de chanteur dans la famille, donc j’ai commencé par chanter. Il n’était pas compositeur, mais on peut dire que mon attrait pour la musique, qui est devenu pratiquement une histoire d’amour, limite obsessionnelle, s’est déclenché grâce à son influence.

  • Ton premier instrument était ta voix donc…

Oui, je n’ai pas touché une guitare avant l’âge de 15 ans et le piano est venu plus tard. Par conséquent, je ne suis pas un bon pianiste.

Hozier

  • Tu as écouté beaucoup de blues dans ton enfance. Quels artistes t’ont le plus inspiré ?

Beaucoup, énormément… Tom Waits, John Lee Hoocker, aujourd’hui Tinariwen, un groupe de jazz malien, Stevie Wonder et pour la voix Billie Holiday et Nina Simone. Pendant une période, j’étais obsédé par Billie Holiday, je l’écoutais sans cesse. Mais aussi, Ella Fitzgerald, Chet Baker…

  • Tu as commencé à te faire connaitre sur le net en mettant en ligne gratuitement ta musique sur Bandcamp. Beaucoup d’internautes ont téléchargé ta musique et l’ont partagé sur les réseaux sociaux, avant même que ta vidéo ait fait le buzz. Que penses-tu du téléchargement à prix libre aujourd’hui ?

Je suis pour, car quand je l’ai utilisé, j’étais complètement inconnu du public et c’est un moyen fantastique pour partager votre musique. À l’époque, j’étais dans une position où je pouvais le faire car je n’avais pas d’argent. Je me rappelle quand j’étais étudiant, je n’avais pas un sou, ni de compte bancaire, je ne pouvais tout simplement pas acheter de musique. L’exposition que j’ai pu avoir, le public que j’ai pu atteindre, en leur offrant ma musique pendant un certain temps, ça n’a pas de prix, ça vaut bien plus que les ventes que j’aurais pu faire à l’époque. En plus, je n’avais pas de label, j’étais tout seul. Donc ça m’a beaucoup aidé. Mais il faut faire la différence entre téléchargement libre et téléchargement illégal. À l’époque, beaucoup d’internautes ont contribué financièrement, ont partagé ma musique, ce qui était très encourageant pour moi. Le téléchargement libre, s’il est fait dans cet état d’esprit, c’est vraiment une idée géniale surtout quand vous démarrez.

  • Tu vas continuer à poster quelques titres à l’avenir ?

J’espère pouvoir le faire, oui, avec les chansons que j’écrirais qui ne pourront pas faire parti d’un album, car trop folk ou trop blues mais que je voudrais partager avec mon public. Mais je sais que les majors n’aiment pas l’idée de donner sa musique, et je suis contractuellement lié à une major, donc…

  • Ton album est annoncé pour le 22 septembre 2014. Il s’appellera « Hozier ». Pourquoi ?

J’ai vraiment essayé de trouver un nom à cet album. Mais je ne pouvais pas lui donner le nom d’une des chansons car les chansons sont très variées, certaines sont gaies et d’autres sont tristes et tragiques. Je n’ai pas trouvé de nom qui reflèterait tout ça à la fois. Alors c’était plus facile de l’appeler « Hozier », tout simplement.

  • Comment décrirais-tu cet album ?

C’est l’expression de toutes mes influences je pense. Les chansons sont toutes plutôt calmes comme s’il s’en dégageait une sorte de tristesse. Mais pour moi l’album n’est pas triste, il y a beaucoup de chansons tristes, c’est vrai. Mais je dirais que c’est une collection de moments que j’ai vécu, il reflète les émotions que j’ai pu avoir comme la relation amoureuse, la rupture amoureuse. Il a été influencé par ma première relation et j’ai eu beaucoup de temps pour réfléchir à tous ces sentiments, parfois les plus affreux, la mort, le mensonge, mais il y a aussi tous ces moments beaux et merveilleux.

  • Peux-tu nous parler de la pochette de l’album ?

Hozier - Hozier

C’est ma mère qui a créé la pochette de l’album, comme les pochettes des EP précédents. Tout son travail tourne autour du concept de subjectivité, c’est-à-dire que ce que vous pensez être la vérité n’est en fait qu’une interprétation de la vérité, votre propre interprétation, souvent mauvaise d’ailleurs. Et, à bien des égards, cela illustre bien tous les sentiments exprimés dans cet album. Chaque objet raconte une histoire, mais elle en parlerait sûrement mieux que moi…. la machine à écrire, l’arbre, le désordre sur la table, les deux fenêtres dans une même pièce, une projetant l’extérieur et l’autre l’intérieur. Je pense que l’idée est que chaque personne va imaginer son histoire et avoir sa propre interprétation sur ces objets et ce qu’ils représentent.

  • En juin dernier, tu es venu pour la première fois en France pour un concert au Nouveau Casino. Comment était le public ?

Vraiment super ! Très respectueux, très à l’écoute ce qui était flatteur pour moi. Mais demain c’est un festival, ça sera très différent.

  • Demain, tu joues à Rock en Seine, en quoi ce sera différent ?

En festival, c’est différent parce que tu ne joues pas devant ton public, mais devant des gens venus écouter les autres. Beaucoup de gens ne savent pas qui je suis donc je ne sais pas comment sera le public et comment il réagira.

  • Et il y a des groupes programmés que tu aimerais voir ?

Je n’ai pas regardé la programmation, il y en a sûrement mais je dois partir juste après le concert car je dois être en Grande-Bretagne le lendemain.


Retrouvez Hozier sur :
Site officielFacebook

Photo of author

Sylvie Durand

Curieuse, passionnée par les voyages, la musique, la danse. Par tout ce qui aiguise les sens.