[Live] Festival les Z’Éclectiques, collection Printemps 2014

Pour la version Printemps de ce festival triennal, les « Zec » avaient concocté une affiche cosmopolite et éclectique pour faire la fête au beau temps, à la bonne humeur et aux décibels.
En ce début de week-end Pascal, 2500 spectateurs de toute obédience musicale ont ainsi assisté à la messe de la diversité des styles. Du rassembleur au plus pointu, chacun a pu prêcher pour sa paroisse tout en prouvant une fois de plus que la musique était un formidable liant universel.

Zeclectiques par Fred Lombard


Moriarty : multidirectionnel

Tandis que le soleil rougeoyant songe à se coucher dans le bocage Maugeois, un vent poussiéreux à peine perceptible se lève pour saluer l’entrée sur scène des Moriarty. Départ immédiat pour le pays Cajun avec le sextet qui investit le plateau de son folklore badaud enraciné dans l’Amérique profonde, celle que nous aimons. Parsemant son set de reprises des plus grands songwriters US, de ballades transgénérationnelles ou de compositions savamment inspirées, le sextet mené par le charisme et la voix très vintage de Rosemary nous imposent le respect et l’attention pour ces chansons habitées, gorgées d’histoire(s), d’inspirations et d’émotions.

Avec l’assurance d’une « Cowgirl in the Sand » (comme le chante Neil Young), elle embarque son sextet et nous avec dans une improbable virée où nous croiserons un Hank William, Woody Guthrie, Blind Willie Mc Tell au milieu de femmes adultères, d’esclaves, de bandits de grand chemin, d’alcooliques, tous aussi inconnus qu’inspirateurs d’histoires.

Voix nasillarde, tempo soutenu, cordes de contrebasse qui claquent sur l’âme de l’instrument, batterie rebelle et guitare songeuse, il manquerait presque une lessiveuse qui gratte et racle l’atmosphère pour transformer la salle en vaste saloon et salle de danse. L’ambiance est respectueuse et pacifique, à l’image des harmonicas et autre guimbarde que l’harmoniste dégaine de sa lourde ceinture en cuir usé. Parfois légers, souvent plus graves, parfois politiques, chaque titre nous emmène dans son petit film, dans sa petite complainte qui, même si nous ne comprenons pas toujours toutes les paroles, nous intime le recueil et la réflexion. Car c’est la vraie vie de l’Amérique d’autrefois qui siffle dans nos oreilles, celle que l’on ne peut inventer. Telle celle et courte de ce condamné à mort de 15 ans ½ en Louisiane dont le destin restitué en acoustique voix/guitare fait frissonner des spectateurs emplis de compassion. Ou comme ce cri de détresse de Lily qui part faire la guerre « My name is Lily, she’s gonna war » (Private Lily) rendu presque joyeux avec cette guitare jouée comme un banjo, le groupe regroupé solidaire autour du micro comme il le serait autour du feu.

Cette traversée du désert d’une heure qui nous a semblé incroyablement courte se parachève avec un Rambling Man aux inspirations maliennes, marqué par les claquements de mains d’un public tout en rythme, tout en symbiose. Guitare en delay, lumière blanche, silhouettes dessinées, les Moriarty nous servent un dernier verre au saloon de leur belle musique, à la lueur de la lune. La ballade Moonshine que l’on se prendrait à rêver d’écouter dans une balancelle avec un petit verre d’alcool frelaté à la main amène subtilement la question du dernier titre à propos de l’amitié après la mort : on se retrouve quelque part ? En tout cas, de notre vivant, oui ! Au plus vite sur une scène, sur un cheval ou à l’ombre d’un grand arbre, avec les Moriarty.


Acid Arab : entremetteurs noctambules

Changement d’horizons avec les Acid Arab que nous retrouvons avec impatience sur scène après leur très convaincant set aux 20 ans du Chabada. Guido et Hervé, aka Guendiz et Asma, traînant déjà une réputation de fêtards hors pair, ne cachent pas leur plaisir de faire bouger les festivaliers sur leur mariage musical improbable dont ils sont presque les premiers à s’en étonner. Projet ayant pris naissance sur la belle île de Djerba la douce, le duo s’est fait s’amouracher les tambours et autres gasbas tunisiens traditionnels avec les beats claquants et implacables de la musique électronique.

Un mariage berbère, mais pas barbare hyper communicatif, asséné par un Acid Arab tout en forme, tout en jambe. Foin d’effets visuels façon arbre qui cache la forêt, le spectacle est sur l’estrade et dans nos oreilles. Des fractales de doigts qui se mélangent sur les platines et de sourires complices qui s’entrecroisent créent à elles seules cette fête authentique quelque part entre Midoun et Houmt Souk. Les doigts de Guido s’agitent en l’air et en rythme, frappant une peau tendue invisible et virtuelle. Épaule conte épaule, main contre main, Djerba se dessine parfaitement devant nous tant la chorégraphie musicale est évocatrice et entraînante. Cela suinte le sucre et les épices, l’enivrement des sonorités ne fait pas tenir les corps en place. Les beats martèlent, il fait chaud, très chaud.

Le podium et le duo ont beau être dans la pénombre, la lumière de leurs rythmes illumine les festoyeurs regroupés devant la console, comme pour célébrer une grande fête sur la place des pêcheurs d’El Kantara. Dans la salle, des princesses orientales se découvrent et ondulent des hanches, hypnotisées et envoûtantes. Les doigts des Djs se mêlent, s’entremêlent, affûtent et cisèlent les potards dans une chorégraphie involontaire et contagieuse.
Djerba a détrôné Ibiza, l’intensité graduelle de la musique d’Acid Arab ne fait que commencer à hanter vos nuits orientales en occident.


Aufgang : combat rock

Pari musical tout aussi surprenant qu’est le désormais duo Aufgang. Difficile à « étiquetter », à « caser », à « pitcher », il est de ces projets qu’il faut vivre, voir, écouter, transpirer. Une expérience hors du commun, intense, tragique, magique, sportive dont les protagonistes ne sortent jamais indemnes. En mode piano-synthés / batterie, face à face, face à dos, le pianiste Rami Khalifé et le batteur Aymeric Westrich entament le set avec un Kyrie ravageur (qui ouvre également leur dernier album Istliklaliya – indépendance en arabe) qui plaque d’emblée le public au sol.

On s’étonne, on admire, on envie toute l’énergie et la musicalité de ces deux instruments qui se regardent, s’observent, s’affrontent dans des bains de lumières épileptiques. C’est un défi personnel, un défi au public que de sortir cette puissance des entrailles de ces instruments. Aufgang joue à provoquer le public. Jusqu’où tout cela peut-il bien les emmener ?

Titre après titre, les frontières sont rompues, les limites sont repoussées. Les moments les plus tranquilles ne sont que calme avant la tempête. Les harmonies et les envolées rythmiques communient jusqu’à plus soif, se battent, martèlent, les instrumentistes vident leur âme, vident leurs tripes. Le son est en apnée, les BPM sont en montagnes russes, le public ne sait plus où donner du beat. La machine est lourde, implacable, lancée comme une locomotive en furie.

Aufgang est en totale liberté, en mode Kubrick. Hagards et abasourdis, les festivaliers mettent un certain temps avant de reprendre leurs esprits. Aufgang veut dire élévation. Le mariage des sonorités de la musique classique et de la musique contemporaine ont réussi à gravir toutes les marches comme une sorte de Stairway to Heaven.


Mr Oizo : Free Bird

Quentin Dupieux a une actualité chargée, mais ne faiblit pas, malgré l’heure tardive de son passage, pour nous asséner sa marque de fabrique que l’on se prend avec plaisir en pleine figure. Cela fait plus de 15 ans que dans nos casques audio, sur scène ou au ciné, ce complice des autres déjantés Garnier, Gondry ou Justice, nous prend à rebrousse-poil à gratter, s’en cachant presque honteusement sous sa casquette et sa barbe fleurie.

Clope sur clope, tout en light show indirect, mais en beats directement envoyés dans l’estomac, Mr Oizo va nous rendre KO dans un chaos musical soi-disant asséné au hasard, mais enchaîné d’une main décidée et affûtée. Son entrée majestueuse et synthétique, tel le Roi-Soleil au pays d’Ableton, est d’ailleurs le parfait augure à une partition qui se veut être de velours dans un gant de fer. Sans reprise de souffle, Mr Oizo nous conduit à l’épuisement. Aussi calme derrière ses platines qu’assaillant envers le public, on s’abandonne dans le tribal, le redondant qui nous on fait rester si tard dans la nuit. Sa musique transperce le temps, les cœurs, les oreilles.

Extraites de son dernier film Wrong Cops ou de son back catalogue, ses compos sont un rouleau compresseur aux gimmicks parfaitement huilés. En 60min chrono, Dupieux nous aura tout donné sauf l’envie d’aller au lit, de prolonger aussi tard que possible cette joute de décibels, l’anti-mélatonine des clubbers.


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans