Rencontre avec Alone & Me

Cet automne, pour quatre soirs, Alone & Me alias Émilie s’installe sous les voûtes du Sentier des Halles. À l’occasion de ces concerts, indiemusic est parti à sa rencontre. Autour d’un thé, il est question du Hard Rock Rising et de l’impact sur sa musique. Mais bien au-delà de ça, c’est une réflexion sur l’autoprod, l’instrument voix et l’introspection d’un tel projet. Plongez-vous dans la discussion.

crédit : Remy Baudequin
crédit : Rémy Baudequin
  • Notre dernière rencontre, c’était lors du Hard Rock Rising. Cette aventure a du avoir un impact sur ta façon d’appréhender ton art, aujourd’hui comment regardes tu ta place dans la musique ?

Déjà, ça a permis aux professionnels de découvrir le projet, parce qu’aujourd’hui ils ne se déplacent quasiment plus. Là, j’avais une très belle brochette de professionnels que je ne pensais pas toucher, ni même approcher un jour, donc ça, ça a été super. Les retours ont été positifs, car j’ai eu des rendez-vous qui ont suivi.
Déjà le fait d’avoir gagné à l’unanimité, en tout cas c’est ce qu’ils ont dit, m’a rassuré sur le projet,  je me dis qu’au final ça valide un petit peu ma musique.
Quand tu joues, même si tu fais des concerts, quand tu n’es pas vraiment connue, c’est difficile de savoir où tu en es.
Tu te poses des questions « Pourquoi tu fais ça ? ». Et puis c’est difficile de ne pas s’essouffler. Donc ça a été un bon moteur, au final tu te dis «C’est pas de la merde. Il faut continuer à y croire parce qu’il y en a qui y croient ». Et puis, comme je doute tout le temps, par rapport à la qualité musicale du projet, ça a donné un peu de crédibilité à mon projet. En plus, grâce aux rendez-vous, j’ai pu toucher une équipe assez importante, qui du coup me permet de faire quatre dates au Sentier des Halles. On va essayer de faire venir du public déjà, mais surtout des professionnels pour qu’ils découvrent le projet, et que ça puisse éventuellement en intéresser.

  • Tu as reçu également un vote massif du public…

Ah oui, les gens ont suivi… Il y a eu toute la mobilisation française, mondiale aussi. Ça a été assez intense. J’ai fini sixième, je crois, donc c’est pas mal. En plus, je ne pensais pas être dans les premiers. Il y a eu vraiment un buzz qui s’est créé, ça, c’est certain, je l’ai senti au niveau des ajouts sur Facebook. Il y a eu des pics énormes, des gens qui ont fait découvrir, qui ont partagé.
De toute façon, aujourd’hui tout se fait sur internet et ça peut aller très vite, avec les partages. Ça a vraiment eu un super impact.

  • Et au niveau de ta manière de composer ou d’interpréter, tu as senti un changement ? Les choses qu’il faut faire pour plaire ?

Justement j’ai eu plein d’avis, j’ai eu plein de conseils, j’en ai pris note. Je me suis pas mal trituré l’esprit, mais je crois qu’au final, il ne faut pas que je dénote de ce que je fais depuis le début, que je reste en accord avec moi et avec le personnage qu’est Alone & Me, parce que c’est un personnage dans le sens que c’est mon côté noir que je fais vivre. Pour moi c’est donc un personnage que je cultive, parce que je suis comme ça et que je veux le garder comme ça. On m’avait parlé notamment à la tenue de scène, le côté masculin/féminin, et je me suis éparpillée pendant un moment à essayer de satisfaire les pros, pour les prochaines dates. Puis j’ai eu un entretien, pas plus tard qu’hier d’ailleurs, avec une personne assez influente dans le métier et qui est de très bons conseils, et avant que je le dise, il m’a dit « reste telle quelle ». Et c’est vrai qu’à chaque fois que j’ai voulu faire pour plaire, ça n’a jamais marché. Quand je dis « faire pour plaire » c’est adapter un set en fonction de la salle, de la structure, mais je me rends compte qu’en fin de compte Alone & Me ça plaît ou ça ne plait pas. Je n’ai plus envie de me prostituer, ce n’est pas le terme, mais de travestir mon personnage, j’ai vraiment envie de le faire vivre tel qu’il est. Après, tu vois, là j’arrive au bout de l’autoprod, mais ce n’est pas encore la prod, donc là, c’est clair que ça peut paraître être un moment où ça peut stagner, parce que j’aurai besoin de prod pour travailler quelque chose au dessus. Par exemple, en ce moment, j’ai de nouveaux titres que je pourrais très bien faire pour les prochaines dates. Je vais peut être en faire un, mais pas plus, parce que je ne veux pas prendre de risque, car je ne les ai pas encore testés, je ne sais pas si ça prend ou si ça ne prend pas. Ce n’est pas que je ne veux pas satisfaire le public, pas du tout, je comprends d’ailleurs qu’il ait besoin de nouveautés, mais ces prochaines dates ont pour but de faire connaître le projet à des gens qui ne le connaissent pas. J’ai envie de faire Alone & Me, qui est maintenant bien rodé, avec Myriam au violoncelle. Je vais essayer de rester qui je suis, de me fier à ça. Je le vois aussi par rapport à la voix, le fait de vouloir faire comme…, ça ne fonctionne pas. Être en accord, s’écouter, faire ce qui sort, tout en respectant une ligne de conduite, pour faire un set progressif. Il n’y aura donc pas beaucoup de surprises pour les prochaines dates, mais des choses vont arriver, mais pour l’instant pas sur scène. On garde des trucs sous la main !

  • Malgré le Hard Rock Rising et ton succès, tu as gardé la rareté qui fait partie du concept d’Alone & Me, pourquoi cultiver cela ? Une protection ? Ou tout simplement pour développer le mystère ?

Franchement, si je pouvais jouer tous les soirs, j’en rêverais. D’ailleurs c’est ce qui m’embête aussi sur le fait de ne pas jouer souvent, de ne pas ramener un nouveau set pour les prochaines dates, mais déjà c’est très difficile de faire déplacer les gens, quand il y a une entrée payante encore plus. Et puis je pourrais très bien prendre ma guitare et jouer dans n’importe quel bar, je l’ai fait et franchement, au niveau technique ça ne permet pas d’avoir un bon son et ça ne sert pas du tout le projet. En plus comme il y a des boucles, quand tu enregistres, tu entends le bruit des verres, des rires… Du coup je privilégie le qualitatif au quantitatif.

  • De la même façon, tu travailles tes concerts comme un show, sans rappel, pourquoi avoir fait ce choix ?

Pour moi, un concert, ça doit être un show, sans pour autant parler des décors ou de danseuses. C’est un show dans le sens que ça permet aux gens de sortir de leur quotidien. Tout le monde n’a pas accès à la scène, du coup c’est déjà un univers de magie. C’est une sorte de privilège. Et puis en face de toi, il y a des gens qui sont là pour toi, donc tu ne peux pas faire un truc à l’arrache, tu dois penser ton set pour que le public ne décroche pas, ne regrette pas d’être venu. Puis leur montrer que tu as travaillé, que ce concert c’est du travail  et que tu espères avec tout ça, les amener dans ton univers, d’où l’importance de la tenue de scène et de ce qui va avec.

  • D’ailleurs les concerts au Sentier des Halles, ça va donner quoi ?

Alone and Me - Sentier des Halles

Au Sentier des Halles, ça va être assez brut en fait. On va poser une ambiance. En plus, le lieu s’y prête. C’est petit, c’est voûté, il y a un mur en pierres apparentes. Ça va vraiment être quelque chose d’intimiste, mais de brut aussi.

  • Aujourd’hui, la dimension qui entoure Alone & Me semble bien construite, où vas-tu chercher ce qui pourrait peaufiner ton projet ?

C’est vraiment en moi. Si ça ne vient pas de moi, ça ne fonctionne pas. Après des ambiances peuvent plus m’inspirer, par exemple dans la musique. Mais d’un point physique, les déplacements, ce qu’on montre sur scène, je pense vraiment que c’est propre à chacun. C’est comme dans la vie de tous les jours, il y a des gens qui se donnent un personnage, qui ne sont pas eux. Tu le vois au niveau de la voix, quand il parle tu captes direct que ce n’est pas eux. Par contre, quand je dis en moi, c’est de l’introspection du genre : « tiens j’ai aussi ce truc-là, j’ai peur d’aller là dans, mais peut-être que je pourrais aussi l’exploiter ». Il y a quelque chose que j’avais fait et qui m’avait beaucoup aidé, c’était des cours de danse et d’expression où tu fais ce que tu veux. C’est le fait de lâcher prise et tu te découvres des sensibilités, de la féminité. Tu mets tous tes points en accord et je pense que c’est une clé pour être bien dans ta vie, et pour la musique c’est pareil. De ce que j’ai pu voir, je crois que si le projet Alone & Me touche, c’est parce qu’il est sincère. Il m’arrive très souvent de pleurer parce que je suis en accord avec ce qui se passe dedans.

  • Dans le cadre du Hard Rock Rising, tu as aussi joué devant très peu de personnes en acoustique, prendre ces risques-là, c’est quelque chose qui te plait ?

C’est formateur ! C’est ce genre de trucs auxquels je ne m’attends pas qui me font progresser. Ça te donne obligatoirement une réflexion différente, un autre axe de travail… Là du coup je n’ai pas toutes mes pédales, comment faire en sorte que ça marche, d’avoir un peu de rythmique ? C’est super intéressant, mais ça me stresse grave. C’est horrible parce que je me sens incapable. Il faut que mon manageur me dise « tu peux le faire. Essaye ! ». Pour moi, ça me paraît énorme, mais je suis contente de m’être trituré la tête pour ça.

crédit : Rémy Baudequin
crédit : Rémy Baudequin
  • La dernière fois, tu me confiais que tu ne voulais pas faire de la musique engagée, avec un sens politique. En y réfléchissant, je me suis dit que ta seule cover était « Selling Jesus » de Skunk Anansie, un texte qui apparaît, notamment à l’heure actuelle, très politique ?

Tiens c’est marrant, je ne m’en étais pas rendu compte. Pour moi, tout part de la musique. Les doigts l’ont fait avant la tête. Je m’amusais et je me suis rendu compte que c’était un accord que je pouvais jouer. Je me suis amusée à trouver un groove. Pour moi, c’est vraiment la musicalité de la ligne de chant qui est intéressante. D’ailleurs, il y a un moment où c’est rapide et je bâcle complètement les paroles, mais je m’en fous. Ce qui m’a plu dans cette reprise c’est vraiment le côté musical. Je n’ai jamais trop fait gaffe aux textes ; ce qui m’importe c’est l’énergie de la musique.

  • Du coup, tu t’intéresses de près à l’instrument voix, peux-tu me parler de ça ?

Ça me passionne. Déjà les voix, sans parler du chant, nous traduisent vachement, mais elles nous trahissent aussi. Tout à l’heure, je te parlais des gens qui n’étaient pas eux, tu te fies directement à leurs voix. C’est pareil, un son qui est mal placé en chant, tu sais qu’il va avoir ses limites, parce que la personne ne chante pas sur sa voix. On a toujours tendance à mettre des effets avant la voix.
J’ai toujours aimé imiter. Déjà petite, j’imitais les amis de mes parents, puis les dessins animés. Ça m’a fasciné de voir tout ce que tu pouvais faire avec une voix et puis l’impact que ça avait après sur les gens, l’échange que tu créais. Puis, il y a aussi le côté plus thérapeutique de la voix ; le bien-être qu’une voix peut te procurer quand tu l’entends d’une part, mais aussi quand tu la fais, il y a un bien-être intérieur, un apaisement. Franchement, j’ai, comme tout le monde, des périodes difficiles et la voix m’a sauvé. Puis, c’est important de se soucier de sa voix, car c’est un peu comme un corps que tu regardes dans la glace quand tu es ado. Tu t’écoutes, tu te dis « Putain, j’ai vraiment cette voix-là ! » et tu supportes pas. Quand tu fais de la musique, tu es obligée de t’écouter… Pendant je ne sais combien de temps, il fallait qu’il n’y ait personne quand j’écoutais ce que j’enregistrais. C’était pas possible, j’avais trop honte. Mais je pense qu’il faut accepter sa voix en tant que chanteur. Si tu le fais, tu seras en accord avec tout le reste. Dans le chant, il y a des tessitures, il y en a certains qui ont des voix graves, d’autres, plus aiguës. C’est des cases, encore une fois. Moi je n’aime pas dire à mes élèves « toi, tu es ça et donc tu vas aller de telle note à telle note et pas plus » – les autres profs vont dire « mais elle est complètement tarée celle-là », mais j’assume complètement cette façon d’appréhender le chant. Quand tu es dans un lâcher-prise, que tu as envie de sortir un son, il ne faut pas se soucier de la beauté de ce son. Tu ne vas pas chercher à faire des notes superbes. Mon idée du chant, c’est de prendre conscience de ce lâcher-prise, pour le contrôler.

  • D’EMKLEM à Alone & Me, tu es passée du français à l’anglais, est-il plus facile pour toi de composer quelque chose d’introspectif en anglais ou est-ce un choix musical et mélodieux ?

Au début c’est venu d’un coup, comme ça, l’anglais. Mais effectivement, même avec EMKLEM je faisais déjà du yaourt en anglais. J’aime écrire en français, mais c’est plutôt quelque chose qui se rapproche du slam. Je trouve que les mots forts en français sonnent difficilement. J’établissais une sorte de yaourt vocal et ce qui s’en rapprochait le plus c’était l’anglais. Et je voulais vraiment garder cette force mélodique simple qui faisait que ça fonctionnait.

crédit : Mick / Le Cargo
crédit : Mick / Le Cargo
  • De même, d’EMKLEM à Alone & Me, tu es aussi passée du groupe au solo, pourquoi avoir fait ce choix ? Aujourd’hui y trouves-tu une certaine libération ?

Oui j’ai été libérée, je l’avoue ! [rire] Non, mais franchement, c’est dur un groupe. Aujourd’hui, pour moi, un groupe, ça fonctionne si tu le fais quand tu as quinze ans. Comme un couple, il y a des hauts et des bas, mais voilà, ça fonctionne et ça dure. C’est dur de trouver une équipe motivée et soudée, prête à tout sacrifier pour ça. En plus, avec l’âge, les gens commencent à se poser, à avoir des enfants, donc c’est difficile de demander aux gens de faire des concessions. Mais c’est aussi, parce que j’en avais marre de satisfaire les goûts musicaux de chacun et ne pas réussir à construire une musique, que j’entendais, mais que je n’arrivais pas à exprimer. Ça a été aussi une libération du style. Parce qu’avec EMKLEM, je voulais absolument faire du métal hardcore, quelque chose d’énervé, de crié, n’importe quoi d’ailleurs ! Avec Alone & Me, c’est comme si tu es dans une pièce et il y a quelqu’un qui s’énerve, qui cherche quelque chose et au bout d’un moment, la personne fatigue, s’assoit et elle réfléchit. Alone & Me c’est ça, c’est cette réflexion. C’est aussi accepter de ne plus être en groupe. Pour moi, ça a été super douloureux, car pour moi mon rêve c’était vraiment d’être chanteuse d’un groupe de métal. C’était vraiment viscéral, c’était un rêve qui s’effaçait en fait. Mais après j’ai tellement apprécié, pas forcément de jouer seule, mais de jouer mes propres morceaux et de m’amuser avec les sons, les superpositions de voix, et surtout d’aller dans le simple aussi.

  • Ton dernier album s’appelait My Fucking Projet ; sortir un cd en indépendant, c’est le parcours du combattant ?

Il y a de ça, mais c’est surtout sur un aspect musical, avec les musiciens et les techniciens. Je dis ça dans le sens où j’ai eu plein de gens autour de moi qui me demandaient de travailler avec eux, qui m’ont promis monts et merveilles, avec qui j’ai essayé, mais au final ça n’a jamais abouti. Tu n’imagines même pas la frustration ! Et une perte de temps… ça y est, je l’ai enfin sorti mon putain de projet que j’entendais dans ma tête. C’était vraiment frustrant, j’avais vraiment une soif de pouvoir sortir ce que j’avais en moi.

  • Un deuxième album est-il en route ?

D’abord, il y a des remixes qui arrivent, pour peut-être toucher un peu plus l’étranger, les clubs, puis apporter de l’actualité aussi. L’album, oui je pourrais en faire un, mais pourquoi ? Comment le sortir ? Ça coûte de l’argent aussi. Je suis toute seule, mais je dois payer des gens autour de moi, un technicien pour le son, puis il y a des résidences aussi. Alors là, j’arrive aux limites de l’autoprod. Mais par contre ce que je refuse c’est de devenir aigrie. Si je sens qu’il y a l’aigreur qui prend le dessus, je crois que j’arrêterais tout.

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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes