Le murmure de Mathilde Forget réveille les Trois Baudets

Je me suis interrogée sur la légitimité. Légitimité face à la foule d’artistes qui chaque jour nous présentent leur musique. Est-il de mon droit d’en choisir un plutôt qu’un autre? Est-il de mon droit de parler encore une fois d’un d’entre eux? Alors que la file est longue et s’éternise chaque jour un peu plus… N’est-ce pas égoïste de s’attarder sur un projet, l’aimer, le chérir et choisir de l’accompagner dans son épanouissement ? Peut être qu’aujourd’hui, où des millions de sons sortent sur internet, que des centaines de chanteurs sont propulsés pour mieux s’écraser, la question de droit ne se pose plus. Parlons plutôt de devoir. De prendre notre temps à aimer et à chérir. J’aime et je chéris la musique de Mathilde Forget. Je vais prendre mon temps de vous en parler.

crédit : Thomas Bader
crédit : Thomas Bader

Samedi soir, Mathilde Forget était aux Trois Baudets. J’étais dans la salle, parmi un public assis et attentif. Il y avait là, une ambiance théâtrale. Dans cette salle feutrée rouge, comme si une sensation de classe nous enveloppait. Comme si quelque chose d’important aller se passer. Un terrible paradoxe émane de là, cette classe et cette proximité de la scène. Les lumières se sont éteintes.

crédit : Thomas Bader
crédit : Thomas Bader

Mathilde Forget s’avance, un pas de souris, un brin craintive. Elle n’est pas seule sur scène. Une violoncelliste et un joueur de scie musicale l’accompagnent. Elle s’assoit derrière cet immense piano à queue. Peut-être tel un rempart entre le public et elle. Peut-être que toute l’assurance n’est pas encore là et c’est tellement rassurant. Pourtant sa musique et sa voix transpercent et viennent nous toucher en plein cœur. Puissantes. Saisissantes. Elle tient son public en suspens. Sensation de se faire complètement embarquer par des mots crus. Crus mais pas sales. Joliment crus. Crus, car Mathilde ne les habille pas de fausses larmes et de faux semblants. Tous ces textes semblent si nus, si bruts. Ils racontent la vie, l’amour et la rupture. Mais pas de pleurs à foison. Plutôt une grande maturité qui se retourne et sourit à son histoire. Taillée à même l’émotion. Écorchure guérie à fleur de peau. Et puis pourtant les mots sont emportés par la finesse de la jeune femme. Prennent une autre tournure. Prennent de la hauteur. Les histoires qui finissent mal ne s’écrasent pas dans le plancher, mais s’envolent. Nous transcendent. Mathilde est une dentellière des lettres.

crédit : Thomas Bader
crédit : Thomas Bader

Des lettres et des sons. Son concert est si sonore. Si aérien. Elle mêle avec justesse, le violoncelle et ses tons tragiques, avec les touches ténébreuses des machines. Comme on le retrouve dans ses textes, elle vivifie le classique. Qu’importent les codes, elle dresse les partitions qui font vibrer. Quant à elle, musicienne, Mathilde pose ses notes de piano ou sa guitare électrique. Spectacle fascinant. Les musiques trépignent, se calment et s’offrent au public. La musique n’est pas que mélodie, elle est son. Bruit. Serait-ce un orage qui approche ? Un océan qui nous submerge ? Tout est terriblement beau, car tout, ou quasiment tout, est laissé au public et à son inconscient. Mathilde nous envoie dans les airs, dans les souvenirs ou bien dans les songes. Le groupe surprend aussi. Lorsqu’un tuyau harmonique tourne dans les airs et emprunte le souffle du vertige. Tout est si beau. La salle y est aussi pour quelque chose. Les lumières dessinent les contrastes. Elles subliment les mouvements et les couleurs du MPC. Les gestes dans la fumée fascinent comme une danse contemporaine. Leurs trois corps sont sensation.

Finalement Mathilde n’est peut-être pas si sage que ça. Peut-être que derrière son piano, elle semble être cette enfant studieuse. Peut-être qu’elle n’est pas que ça. Sûrement qu’elle n’est pas que ça. Avec sa guitare, elle se fond dans le spasme mélodique. Électrise les mots et les âmes. Peut-être que sa chemise blanche n’est pas celle d’une fille soignée, mais celle de Patti Smith. Sûrement même. Oui, car, il n’y a pas que de la chanson dans les sillons de Mathilde Forget, mais du rock. Du rock qui dort pour mieux s’emporter. Du rock qu’on retrouve dans sa présence sur scène. Habitée, tendrement maladroite parfois, mais tellement convulsive dans les mots.

crédit : Thomas Bader
crédit : Thomas Bader

Son murmure est un nouveau souffle donné à la musique.

mathildeforget.com
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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes