Rencontre avec Mathilde Forget

Mathilde Forget, quand on l’a découverte c’était à la soirée InrockLab Sosh, à l’International. Discrète. Un brin timide. Deux chansons et puis s’en va. De fils en aiguilles, nous voilà invités à un de ces concerts, le 8 juin aux Trois Baudets. Alors avant ça, pour lever le voile sur la jeune fille, on lui a posé nos questions. Il en ressort une discussion douce et réfléchie. Tout en finesse.

crédit : Pascal Calou
crédit : Pascal Calou
  • Je ne te connais qu’à travers deux chansons, entendues à l’International, alors peux-tu te présenter ?

Je compose des chansons depuis cinq ans environ, et depuis un an j’essaye de les faire exister sur scène. Je suis accompagnée par un joueur de scie musicale et d’omnichord, qui s’occupe aussi des programmations, et une violoncelliste. Moi je suis au chant, au piano et à la guitare. J’ai commencé la musique toute petite, et elle me passionne toujours autant.

  • Ta musique est emplie de maturité, est-ce un aboutissement musical ? Comment a-t-elle évolué depuis tes débuts d’artiste jusqu’à ce que tu donnes aujourd’hui ?

C’est gentil. Je ne sais pas ce qui rend une musique mature, mais j’ai passé le temps de mes études à composer enfermée dans ma chambre, à travailler les sons pendant des heures, à déstructurer, restructurer et torturer mes morceaux. Je pouvais vraiment y passer des jours entiers sans même penser à manger !

crédit : Pauline Goasmat
crédit : Pauline Goasmat
  • Tu écris en français et tes textes ont la résonance de poème, ou de monologues cinématographiques. Ancrés dans la culture française. Le choix du français a-t-il été une évidence? Envisages-tu (ou peut-être l’as-tu déjà fait) d’écrire dans une autre langue ?

J’ai commencé à écrire en français, puis la pudeur m’a amenée à écrire en anglais. Avant, la plupart de mes morceaux étaient anglais. Et puis en découvrant les plumes de Bertrand Cantat et de Benjamin Biolay, je me suis décomplexée. Les retours positifs de certaines personnes m’ont beaucoup aidé aussi. Maintenant je n’écris qu’en français, et j’adore ça. C’est un vrai challenge, car ce n’est pas facile. J’essaye de construire mes textes comme des poèmes c’est vrai, je fais attention aux nombres de syllabes, aux sonorités et aux rimes. C’est comme arranger un morceau. C’est de l’architecture. Et puis je ne raconte pas d’histoires, j’essaye de raconter des sentiments.

  • Tu parles beaucoup d’absence, de manque et d’ennuis amoureux, pourtant tes chansons ne semblent pas être écrasées par le tragique et la douleur…

Je suis contente que vous disiez cela, car c’est mon sentiment aussi. Je ne sais pas parler de choses légères, pas encore, mais ma musique parle de lumière et d’espoirs aussi. Elle est rêveuse et romantique. Et quand je compose c’est positif et ce qu’il y a en moi n’est pas tragique et douloureux. Une fois on m’a demandé ce que signifiait la mélancolie pour moi, en me disant qu’il y en avait beaucoup dans ma musique. J’ai répondu que je n’étais pas sûre de savoir ce qu’était exactement la mélancolie, mais que je savais que ce n’était pas triste.

Mathilde Forget
crédit : Julien Grassiot
  • Ta voix semble marcher sur un fil, fragile, entre le chant et le murmure. Est-ce un travail ? Ou au final chantes-tu de la façon la plus instinctive ?

Le travail c’est plutôt d’essayer d’affirmer un peu plus ma voix. Je ne veux pas m’éloigner de sa nature, mais je veux la fortifier un peu. J’ai pris quelques cours de chant avec la professeure du Chantier des Francos, Julia Pelaez, ça a été une révélation pour moi. Avant on ne m’entendait pas et j’avais tellement honte de ma voix. Aujourd’hui ça va mieux. Je fais mes exercices régulièrement. J’ai découvert que j’avais une cage thoracique pour respirer, c’est pratique !

  • Sur scène tu es entourée de deux musiciens, comment composes-tu ?

Je compose seule. J’écris les parties de violoncelle pour Ji, qui m’accompagne sur scène. Je compose aussi les programmations électroniques, sauf sur un morceau, on a fait les programmations à deux avec Alexis, le joueur de scie musicale. Il m’aide beaucoup. J’ai besoin de son regard, de son intelligence, de son calme, de son enthousiasme. Il est mon roc! Il compose lui même ses parties de scie musicale.

  • Inrocks lab, les chantiers des Francofolies, Paris jeunes talent, tu sembles être partout dans ces projets qui révèlent les artistes émergeant, quel est ton regard sur ça ? Sur ta place dans la musique?

Oui, tout arrive en même temps! C’est agréable pour moi qui doute tout le temps. Les premiers à s’être intéressés à moi, c’est l’équipe du Chantier des Francos, et notamment Florence des Francofolies, et Philippe Prohom. Le Chantier des Francos a été, et est encore, ma plus belle expérience musicale. On a tellement progressé avec Ji et Alexis. Quand Florence et Émilie nous ont dit qu’on était sélectionnés, on avait fait seulement quatre concerts ensemble. C’était fou pour nous de nous retrouver là. On était un peu les bébés du Chantier. Ils sont tous vraiment bienveillants avec nous. Je n’ai aucun partenaire, alors ils m’aident. Sans eux je n’aurai pas fait le quart de ce que j’ai fait cette année. J’ai grandi à tous les niveaux grâce aux intervenants, et surtout dans ma tête. Et puis avant, je ne pensais pas que ma musique pouvait exister sur scène. Mon regard sur les concours et prix, c’est que si ça peut permettre à ma musique d’exister ailleurs que dans mon ordinateur, alors je suis contente.

crédit : Pascal Calou
crédit : Julien Grassiot
  • Tu vas jouer deux soirs aux Trois Baudets, début juin, quel est ton rapport à la scène ?

Avant c’était assez pénible pour moi, d’ailleurs je ne faisais pas de concerts à cause de ça. Je fermais tout le temps les yeux, j’étais apeurée, j’étais seule, j’avais ma guitare autour du coup, le micro dans une main, le piano sous l’autre, les progs sous mes pieds, c’était… compliqué. Et comme je vous le disais, le Chantier des Francos est passé par là. Philippe Prohom a changé beaucoup de choses dans ma tête. Il m’a aidé à désacraliser ma musique pour mieux l’offrir. Alors j’ai compris que j’aimais ça, que j’avais envie de dire chaque mot à chaque personne du public, et que je voulais que ça dire longtemps. J’ai libéré mon corps aussi des contraintes techniques. On a beaucoup travaillé avec Alexis et Ji pour avoir un concert dont on est fiers. Je ne suis jamais satisfaite, mais là on est pas loin !

  • Si je te dis Christophe Honoré et Alex Beaupain, y vois-tu une référence évidente ?

Oui, bien sûr ! Alex Beaupain, je ne connais pas sa musique depuis longtemps en fait, mais j’adore. Il m’influence, c’est certain. Quant à Honoré, j’ai vu « Les chansons d’amour » dix fois je crois et j’ai vu tous ses autres films. C’est romantique et un peu tragique, ça me plaît.

  • À ce propos, le cinéma est-il une influence majeure dans tes créations ?

Le cinéma est ma première passion. Il influence ma musique, c’est certain. J’aime créer des ambiances sonores qui peuvent rappeler le cinéma.
D’ailleurs, j’ai commencé à composer après avoir déchiffré les partitions d’Amélie Poulain de Yann Tiersen. Et puis, surtout, j’ai décidé de faire des études de musique et de vraiment composer des chansons après avoir vu La Marche de l’empereur dont la B.O. a été composée par Émilie Simon.
Elle m’a beaucoup influencé à mes débuts. Il y a eu aussi Noir Désir. Maintenant, il y a surtout Benjamain Biolay. Sa musique et ses textes m’ont beaucoup décomplexé. J’aime vraiment beaucoup ce qu’il fait. Il y a aussi Bat for Lashes, j’adore son univers. Et puis la musique classique aussi. J’adore Jean Sébastien Bach. Il y a aussi l’art en général. J’aime voir des expositions, les peintures de Friedrich, les sculptures de Camille Claudel, la poésie de Baudelaire.

  • Curiosité, mais quelle est cette chouette qui entoure ton projet ?
Mathilde Forget - EP
crédit : Marthe Drucbert

La nature est très importante pour moi et ma musique. Et la chouette m’évoque beaucoup d’aspects de ma musique. La forêt, la nuit, le romantisme, l’inquiétude, les oiseaux, l’air, le ciel, l’imaginaire, le rêve. La chouette me va bien. Celle que vous voyez sur la pochette de mon premier EP a été dessinée par la graphiste Marthe Drucbert.

  • Parle-nous de ton EP? Et y en a-t-il un autre en route?

Je l’aime comme un premier amour. Il est important, mais j’ai le sentiment que c’est du passé déjà.
Pourtant il n’est pas sorti il y a longtemps, mais tellement de choses sont arrivées depuis dans ma musique. Je veux enregistrer la scie et l’autoharp d’Alexis et le violoncelle de Ji. Il y a de l’anglais, et je ne l’assume plus. Et puis ma voix est plus posée aujourd’hui. Donc maintenant j’ai vraiment hâte d’enregistrer de nouveaux morceaux, ou de repenser ceux-là, avec tout ce qui a mûri en moi.

  • Chez indiemusic, on aime les découvertes, alors as-tu un artiste à nous faire découvrir ?

Je suis assez mauvaise pour ça. Par exemple j’ai découvert le premier album de Cascadeur il y a un mois, alors qu’il va sortir son deuxième bientôt. Pourtant j’écoute tout le temps de la musique, il n’y que quand je dors que je n’en écoute pas, mais je ne découvre rien avant les autres. Vous devez déjà tout connaître ! Mais j’aime bien faire découvrir Mansfield.TYA à ceux et celles qui ne les connaissent pas encore.

mathildeforget.com
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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes