Radiohead – TKOL, concerts de Nîmes : état des lieux

Un an et demi après la sortie du controversé The King Of Limbs, Radiohead retrouvait leur écrin nîmois pour deux concerts estivaux. L’occasion parfaite de faire le point sur un groupe qui ne laisse personne indifférent.

Crédit photo : Sylvain Thomas

Il n’est pas peu dire que ce double concert de Radiohead était attendu. Troisième passage dans les sublimes Arènes après ceux de 2003 et 2008, ces deux nuits étaient aussi l’occasion pour le groupe de reprendre sa tournée après le dramatique incident de Toronto du mois dernier, lors duquel un ingénieur du son perdit la vie après l’effondrement du toit de la scène.

Tout d’abord voir Radiohead deux fois de suite, est-ce bien raisonnable ? La réponse est affirmative, les set lists étant renouvelées à hauteur d’au moins 50% d’un concert à l’autre.

La constante : la quasi-totalité des titres du dernier album en date (Radiohead jouait ainsi chaque soir l’intégralité du dernier album, In Rainbows, lors de sa tournée précédente).

Ainsi le pire était à craindre pour cette nouvelle tournée, supposée mettre en avant le dernier opus en date, l’infamous The King of Limbs.
TKOL avait laissé les fans plus que perplexes et avait reçu, c’est le moins qu’on puisse dire, un accueil froid.

Une poignée de fans inconditionnels avaient pourtant une fois de plus crié au génie, célébrant le goût du danger et l’éternelle force des Oxfordiens à se renouveler d’album en album, évitant toujours de réutiliser les mêmes ficelles.
Clairement, un album de la bande s’apprécie sur la durée. Quel bonheur de découvrir 15 ans après sa sortie toujours de nouveaux détails infinitésimaux sur OK Computer au bout de la 1000e écoute. Il est donc intéressant d’analyser si après un an et demi de vie, cet opus a réussi à imposer ses mélodies dans notre esprit ou si TKOL s’avère tout simplement un disque pas terrible.
Là, on a bien ici à faire au premier ratage dans la discographie de Radiohead, et lui trouver des qualités reste assez compliqué.
L’argument du renouvellement est ici une façade. Les cinq premiers titres franchement électros sont loin d’être un terrain inconnu pour le groupe, et les trois titres acoustiques de clôture sont dans la droite lignée des ballades fantomatiques qui ont fait la renommée du combo.
Mais alors où est le problème ? Eh bien, lorsqu’on écoute un album cinq fois et qu’on est toujours incapable de fredonner le moindre air, c’est bien qu’il y a un déficit quelque part. Celui de TKOL est dramatique : il est tout simplement dépourvu de mélodies ! En tous cas de mélodies fortes. Les premiers morceaux électroniques à tendance minimaliste sont bouffis et paresseux, un magma boueux dont la lumière ne s’extrait pas.

Le manque d’idée est flagrant, les textures à tendance épileptique s’avèrent toutes en fin de compte très semblables et monotones, allant parfois jusqu’à l’autoparodie avec un titre, Little by Little, véritable monstre de Frankenstein des Anglais, tellement il semble composé de différentes parties d’anciens morceaux de la bande.  Suite à ce long passage, les trois morceaux plus intimistes de la fin ressortent forcément, car ils tranchent avec le reste, mais la encore quelle déception ! Sur son terrain pourtant, Radiohead parvient à proposer une sorte de sous Sigur Rós emballé dans un tripatouillage synthétique tristounet, pour une collection de morceaux qui n’auraient même pas eu leur place dans In Rainbows.
Sur cet essai, l’audace ne saurait être prise pour du talent.

Qu’attendre par extension du traitement de ces chansons en concert ? Le live In the Basement donnait déjà un semblant de réponse : il est beaucoup plus excitant de voir jouer ces morceaux en chair et en os, mais on est loin d’atteindre des sommets. Voyons ce que ça donne grandeur nature.

En ce mois de juillet pluvieux en France, le temps à Nîmes est des plus enthousiasmants. Les fans de tous pays n’ont visiblement pas peur du gros soleil qui règne et se postent déjà devant les portes dès 14 heures.
Caribou aura le privilège d’ouvrir le bal pour les deux soirs. Un set assez bizarre, lors duquel les quatre musiciens se mettent presque face-à-face sur 5 mètres carrés et proposent un jeu assez fermé, mais sauvé par la qualité des chansons du groupe.
Un peu anecdotique, mais l’essentiel n’est pas là.
Car quand on vient voir Radiohead à Nîmes, on ne peut que piaffer d’impatience devant l’affiche parfaite qui nous est proposée. En effet, lors de ses précédents concerts en ce même lieu, Radiohead a toujours su créer une messe magique en osmose avec ce lieu si atypique. Qu’imaginer de plus fascinant que ces imposantes arènes romaines qui donnent à chaque concert un goût spécial.

La scène est impressionnante, avec pas moins de 10 écrans au-dessus des musiciens et  deux batteurs pour assurer la section rythmique ; Clive Deamer de Portishead venant doubler les fûts. L’excitation est à son comble et on entame directement avec Lucky. Le public est déjà fasciné dès le premier accord.
Mais la suite révèle directement ce que l’on redoutait : il n’y aura pas de miracle concernant les morceaux de TKOL. Face à l’indifférence polie du public, les membres du groupe semblent vraiment les seuls à être passionnés par ce qui se passe sur scène. Les morceaux sont longs et répétitifs. On en profite pour balancer quelques nouvelles compos. Apparentes chutes de studio de TKOL, elles restent dans la même veine que ce dernier, électro molle, sans jamais d’idée lumineuse qui pourrait rendre le tout plus excitant.
Une exception existe quand même ; l’incroyable Lotus Flower, aiguisé et ronflant dans son traitement live, qui rappelle un Radiohead sachant utiliser des claviers. Injustement associé à ce fameux clip qui lui colle à la peau où l’on voit Thom York gesticuler dans tous les sens, le titre reste le seul moment de grâce parmi ses consœurs, et s’impose comme le seul grand moment parmi les titres issus de TKOL.

Mais alors ? Mauvais concert ? Eh bien non!  La suite va le confirmer : Radiohead reste malgré tout Radiohead, le groupe qui a signé une importante quantité des chansons les plus remarquables de ces 20 dernières années.
There There est toujours aussi épique, Exit Music ou Climbing up the Walls, des moments d’une intensité trop rare en concert. Les titres plus doux, notamment extraits de In Rainbows, laissent le publique extatique, comme lors d’un Nude magistral, durant lequel le temps semble s’interrompre. Mais ça bouge aussi pas mal quand apparaissent les morceaux plus dansants de Kid A, rappelant le fossé énorme qui existe entre un Radiohead électronique à son meilleur et le pâlot dernier album. Et il y en a des choses à voir sur scène quand Radiohead s’en donne la peine. Observer Jonny Greenwood est toujours un spectacle rare. Il maltraite ses instruments, balance des arpèges vicieux, joue avec des archets sur sa guitare, tripatouille des machines bizarres… Il est un spectacle dans le spectacle. Thom York agité virevolte dans tous les sens comme si sa vie en dépendait,  et semble de plus en plus désinhibé sur scène.

Crédit photo : Mitch Manzella

La setlist essaie de faire la part belle à quasiment tous les albums de la bande (sauf The Bends malheureusement) sans se focaliser sur les singles, et il en ressort forcément un peu de frustration de ne pas avoir la chance d’entendre un Karma Police ou de ne pas avoir le droit chaque soir à un Paranoid Android, une chanson que même les univers parallèles nous envient, et qui sont toujours de grands moments. Paranoid Android sera quand même livré dans une version époustouflante le premier soir, et les images d’un Jonny cathartique sur sa guitare resteront en tête après la fin du show. Le jour se couche sur Nîmes au fur et à mesure de la prestation, et l’intensité monte crescendo de façon assez orgasmique.

Et comme décidément Radiohead a bon goût, il finit toujours bien ses concerts.
Ainsi un Reckoner poignant et lumineux pour conclure le premier show, dédié à la mémoire du technicien décédé. Le deuxième soir offre en conclusion le classique Street Spirit, chanson messianique s’il en est, communion parfaite pour finir ses deux soirées riches en émotions.

Quelles conclusions tirer de cet événement ? Le premier est que Radiohead reste toujours l’un des meilleurs groupes du monde en live. Logiquement moins passionnant qu’il y a quelques années, de part la présence importante de trop de morceaux récents à la pertinence douteuse pesant sur la setlist, un concert des Oxfordiens reste un must-see, même pour les néophytes.
La page TKOL ne semble pas encore être tournée, le groupe introduisant régulièrement des nouveaux morceaux dans le même ton le long de sa tournée. Gageons que dans sa perpétuelle quête de renouvellement, le phénix des hôtes de ces bois saura une fois de plus se réinventer, faisant de KOTL une anecdote dans leur collection de classiques.

Un coup d’œil aux setlists :

Concert du 10 juillet
Concert du 11 juillet 

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Sébastien Weber

chroniqueur attaché aux lives comme aux disques d'exception