Les trésors cachés de Turner Cody

La première fois que j’ai vu Turner Cody, c’était en première partie d’Adam Green. Il vendait lui-même ses disques à la sortie du Trabendo et semblait content d’être là. Et la dernière fois que j’ai vu Turner Cody, il était de passage à St-Nazaire en compagnie de son pote James Levy, ils traversaient la France en train comme deux vagabonds avec des chapeaux de cow-boy et leurs étuis de guitare. Juste avant le concert, on avait discuté et bu une bière en débattant du meilleur album de Dylan. Donc déjà, pour moi, Turner Cody, c’est un mec sympa.

Ensuite, il y a sa musique. Douze albums en dix ans, dont la distribution française est encore quasi-inexistante, malgré un petit succès d’estime avec le titre « Corner of My Room » calé dans la bande-original du film « Un Prophète ». Il a tenu la basse pour Herman Düne, a partagé l’affiche et cohabité à Brooklyn avec le héros de toute une génération, Adam Green (ce qui est le summum de la coolitude). Qualifié d’anti-folk alors que ça ne veut clairement rien dire, on peut le rattacher sans problème à une longue lignée de songwriters américains, qui nous parle de la pluie, du beau temps et de leurs sentiments en réinventant sans cesse les codes de la musique folk et country et les éternelles chordes du blues. De l’americana dans sa forme la plus pure et simple. C’est bien simple : chacun des morceaux pondus par Turner Cody procure un plaisir immédiat et se sifflote avec nonchalance ou émotion, selon l’humeur du moment. Et des textes comme « Crying In My Whiskey » ou « I’ll Be Home » aurait pu être écrits et interprétés aussi bien par Hank Williams, Willie Nelson ou Dylan période Nashville. Et chaque album étant encore mieux produit que le précédent (c’est David-Ivar Herman Düne qui s’est chargé de « Gangbusters », le petit dernier), la joie est constamment renouvelée, à un rythme régulier, comme si à chaque fois, on retrouvait un vieux pote.

Ce qui nous intéresse ici, c’est « The Radioman Sessions », sa nouvelle livraison. Pas véritablement un album, plutôt une compilation, offerte gentiment par Boy Scout Recordings, sympathique label dont le site officiel est truffé de trésors dans ce genre. Un cadeau offert au milieu de l’automne aux fidèles et qu’on peut, pour seulement 10 dollars, se procurer pour les fêtes. Comme Turner est très prolifique, sortir un album par an n’est plus suffisant, il lui faut maintenant réunir inédits et versions alternatives avec ce genre d’EP discrets mais franchement essentiels. Dans le même genre, il y a « Rules of The Road » et « The Great Migration », compilations également écoutables sur BandCamp. S’il continue comme ça, il se retrouvera comme Dylan, son héros (le nôtre), avec une discographie labyrinthique où se mêle un millier de bootlegs plus ou moins officiels. En attendant, je vous invite à prendre le temps d’écouter cet album.

« The Radioman Sessions », c’est un peu le Dylan de « Freewheelin’ » qui rencontre le Dylan de « Highway 61 » avec Neil Young qui triture une guitare saturée dans un coin. Comment expliquer ça autrement qu’avec des comparaisons à la con ? Prenez par exemple « Ounce Of Gold », la déflagration country-rock qui inaugure le festin. Et bien vous la retrouvez quelques pistes plus loin dans une version acoustique avec une simple basse qui vient hanter en crescendo cette hymne à la solitude (et donne des frissons à tous les coups). Chaque morceau apparaît ainsi, avec deux facettes. Et ils sont inédits, sauf pour « Hey Jim », qui se transforme ici en longue jam débraillée de huit minutes (et c’est là que la référence au Loner prend tout son sens) qui vous donnera envie de courir à perte haleine sur une route de campagne. La voix de Turner passe du tendre au tranchant avec une aisance digne des plus grands et sa musique a rarement été aussi solide et concise. C’est beau d’entendre un artiste perfectionner son art.

Alors en attendant un nouvel album de la part d’Adam Green, jetez-vous sur les trésors cachés du plus attachant des bardes country-folk du moment. À une époque où l’on est constamment agressé par la soupe de Charlie Winston et autre Lily Wood, un peu d’authenticité ne peut pas faire de mal. Et puis quelqu’un qui vénère « John Wesley Harding » de Dylan est forcément recommandable.

À noter que ma collègue Léa avait également eu le plaisir de rencontrer Turner en octobre et vous pouvez lire son compte-rendu ici.

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Antoine Philias

Tombé dans le Mississippi quand j'étais petit, depuis, c'est du blues le jour et la nuit. En attendant la publication de mon ouvrage en vingt tomes sur Bob Dylan, j'écrirais des choses ici.